"l'œil alerte — le présent suspendu"

Marcel Duchamp à Buenos Aires 1919-1991
Objets perdus — objets trouvés


Dans le champ du réel, Marcel Duchamp introduit le Du-champ Scopique. La rencontre d'un lieu et d'une histoire, de traces que cette histoire laissa lors de son séjour à Buenos Aires pendant neuf mois, de septembre 1918 à juin 1919, m'ont amené à réaliser une série d'œuvres et d'installations autour de ce séjour et de ce lointain voyage. [...]



L’ŒIL ALERTE – LE PRÉSENT SUSPENDU

Marcel Duchamp à Buenos Aires 1919-1991 Objets perdus – objets trouvés
Léa Lublin, Paris, octobre 1990

Dans le champ du réel, Marcel Duchamp introduit le Du-champ Scopique.
La rencontre d’un lieu et d’une histoire, de traces que cette histoire laissa lors de son séjour à Buenos Aires pendant neuf mois, de septembre 1918 à juin 1919, m’ont amenée à réaliser une série d’œuvres et d’installations autour de ce court séjour et de ce lointain voyage.
L’œil alerte – le présent suspendu, se propose de faire voir le rapport que Marcel Duchamp entretenait avec le réel qu’il côtoyait, avec les lieux qu’il fréquentait, qu’il mémorisait, avec les images qu’il retenait, qu’il enregistrait.

Ayant trouvé les traces qu’il laissa lors de son séjour à Buenos Aires, ville qu’il choisit pour fuir le climat insupportable qui régnait à New York lors de la rentrée des États-Unis dans la guerre de 1914-1918, je me propose de rendre visible l’impact visuel et émotionnel que certaines images ont eu dans la suite et la continuation de son travail.
Ayant trouvé l’image perdue, l’image « entre » (parenthèse), qui donne naissance à son « alter ego », je souhaite faire voir l’extension de son champ visuel, la rétention et la mémorisation dans son registre scopique des images qu’il rencontrait, qu’il trouvait et qu’il perdait.

Dans I’appropriation d’une image, on appréhende un fragment du Réel.
Prendre pour soi une image, comme on prend un objet tout prêt qui devient un Ready-Made, fait que l’image toute faite devienne une image toute prête, devienne une image Ready-Made.
Mais l’image Ready-Made n’est pas n’importe quelle image – ainsi que l’objet Ready-Made n’est pas n’importe quoi, n’importe quel objet.
Les déplacements visuels, les déplacements linguistiques, les dédoublements nommés ou figurés, les démultiplications toponymiques ou les enregistrements mnémotiques travaillent le choix des images, comme celui de ses objets, déterminant le choix de ses matériaux, I’inscription de ses signes.

En décembre 1989, j’ai trouvé à Buenos Aires le lieu qui porte encore les traces de Victor et les biffures de Marcel, qui conserve les Fenêtres Fraîches de « Fresh Widow », la bouteille perdue de « Rose et Cie », la rencontre de Marcel Duchamp et de Rodin, de Marcel Duchamp et de Gardel, mais aussi ses cartes d’oculistes, sa vision stéréoscopique, sa technique d’argenture (d’Argentine ?).
Si l’image n’est rien d’autre qu’un arrêt sur le temps, comme on dit d’un arrêt sur l’image, ce travail veut rendre visible une histoire, qui est celle d’un œil et d’un regard, dans le déroulement d’un Temps, d’un fragment de ce Temps et de ces images retenues (à telle heure, tel jour, etc.) à préciser, mémoriser, computériser, avant l’heure et la lettre, en avance et en prévision des images de synthèse, de la question du sujet de I’art et de celle de son « objet », à perdre, à trouver, à retrouver, à suivre, à poursuivre…